L’architecte



Séquence 1
À quelle hauteur rêvons-nous ? Je veux te dépasser Facteur Cheval. Je mets des visages hideux là où personne n’est jamais monté auparavant. Tout en haut de mon idée, Quasimodo crachant sur les sanctuaires terminés. Je portais à dos des blocs de pierre pour je ne sais quelle huitième merveille du monde. Plus haut que les beffrois et les flèches, plus haut que le mal qu’on m’a fait.

Séquence 2
Je ramasse tous les jours les cailloux des lapidations ; les femmes que j’aime n’ont pas leur place en ce monde. Ce château que j’imagine au milieu du monde, difforme au possible, incrusté de visages dont personne ne veut. Roi de l’Art Naïf, décharné, je monte avec du ciment plein les mains. Je mets du répugnant où d’autres auraient mis de l’or ; les hauteurs sont des ravins. Je monte sur des têtes, les nuages ne sont plus qu’à quelques mains. J’incruste des visages mécontents, saisis de frustration, des visages dégoûtés.

Séquence 3
Quelle barbarie je dois montrer au grand jour ? Je ne fais pas cela pour être vu. Monument pour tous les météores seuls dans le ciel, phare en pierre pour tous les aveugles. Le ciel est tranquille à ce niveau de pensée. Art incongru, art râpeux. Rien ne vaut que d’aller voir par soi-même ce qu’il y a au-dessus de soi-même. J’étais au milieu des hommes comme parmi des cailloux. À côté des murs en brique de nos rêves. À défendre la monstruosité face à la normalité.

Séquence 4
L’âge d’une seule œuvre. Profite de l’écrasante chaleur et de la sieste pour construire une pyramide si étonnante que lorsque les gens se réveilleront, ils ne sauront comment la détruire. Comment un seul homme a pu donner des formes si abruptes, malaisées ? De telles rugosités que les gens s’en toucheront le visage avec effroi et se mettront à le poncer avec une queue-de-rat. On se trouvera soudainement nez à nez avec elle.

Séquence 5
Une pyramide proportionnelle aux horreurs du monde. Une pyramide entre les arbres de la méchanceté, de la morosité. Ceux qui voudront s’échapper en auront la peau arrachée. Ceux qui voudront ignorer, des crabes pierreux les mangeront de l’intérieur. Ceux qui essayeront avec une pioche de la défigurer ne feront que la rendre encore plus belle. Le corps entier comme un acarien accrochant toute la poussière et toutes les particules volantes de ce monde.

Séquence 6
Un temple primitif au beau milieu de cette civilisation dérangée. Cette idée majestueuse d’être son propre maître et esclave. Dites à l’homme d’être l’idée et la pelle, cette pioche réflexive qui frappe une caillasse inutilisée. Il n’arrivera jamais un jour où les arbres ne feront plus d’ombre sur moi. Le vrai roi celui qui arrive à un sommet sans avoir dû blesser qui que ce soit. Sans avoir dû marcher sur autrui mais je ne sais pas pourquoi je dis cela puisque j’écrase tous les jours des marches pour arriver à mes fins.

Séquence 7
L’homme rocheux, aux rêves irréguliers. Les graminées de mon époque flottent autour de moi. On ne redescend plus d’une telle construction. Je touche le rêve. Le rêve dévore le ciel. On vit toute une vie avec cette idée que l’on pourrait mourir là, maintenant. Ils ne te laisseraient pas un morceau du ciel, donc prends tout. Sans un sou, je ne m’éparpille pas nullement. Je reste à mon monument.

Séquence 8
Je reste à ce que j’aime, tellement à mon œuvre que je ne m’y vois plus y travailler. La pensée est rognée par le soleil, les phrases ne commencent plus par Je. On ne peut penser à l’œuvre que si on y est perché. Sculptures dans la chair. Je cisèle des oiseaux obscurs, charognes ambulantes. Fioritures, ornements. Je creuse dans la roche avec une ignorance crasse. Je comprends mieux quand je regarde cette flaque le monument que je voulais faire.

Séquence 9
En fait j’étais à ras de terre tout le temps, j’étais là au milieu de vous tous, à ras du sol, verres cassés et ordures. Je ne parlais pas d’un monument réel mais simplement de l’existence. J’étais retenu à la table d’aujourd’hui.